Mémoricide de Jeanne d’Arc et assassinat de la France

Homélie sur Matthieu 16, 24-22, prononcée au cours de la messe pour Sainte Jeanne d’Arc, célébrée le mercredi 30 mai 2018 en l’église Saint Denys de La Chapelle, par le Père Michel Viot, aumônier de l’Association universelle des amis de Jeanne d’Arc, fondée par le général Maxime Weygand

Préambule

Jamais autant que cette année 2018, la célébration de la fête de Sainte Jeanne d’Arc ne m’a paru aussi importante, et si essentielle pour le relèvement de notre patrie, prélude au relèvement de l’Europe et de sa civilisation. D’où la publication de cette homélie ! Cela dit, je ne me fais pas d’illusions, tant les menaces de la barbarie augmentent, en même temps que l’aveuglement, la sottise et, disons le, la perversité. Nous avons entendu récemment, à propos du oui irlandais à l’avortement quelques perles rares, montrant à quel niveau nous sommes descendus ! On y a salué un progrès, symptomatique de la perte d’influence de l’Eglise catholique à cause des affaires de pédophilie. Et il s’est trouvé des voix catholiques pour demander de « respecter cette réponse. Son premier mérite étant de mettre fin à une urgence de santé publique….blabla…et mettre en lumière l’ampleur des souffrances vécues ou cachées des femmes… ». Nous avons entendu cette chanson en France dans les années 70 ! Cela nous donne aujourd’hui quelques 200 000 avortements par an. Ainsi est excusé un terrorisme meurtrier à l’égard des plus faibles, avec les circonstances atténuantes accordées par des voix catholiques ! Il est vrai que cette diminution du nombre d’enfants fera moins de proies pour les pédophiles ! Belle entrée en matière pour les discussions sur les lois bioéthiques, et pied de nez pour tout le travail sérieux des évêques pour sensibiliser les fidèles au respect de la vie.

Dans le même temps, grâce à une permission de sortie, un détenu radicalisé a pu tuer en Belgique, tout comme en France, l’assassin du Père Hamel muni d’un bracelet électronique. D’ici un an, une vingtaine de terroristes sera remise en liberté, dans deux ans un peu plus encore, c’est la loi ! Actuelle du moins. On continue à traiter le radicalisme islamique comme une maladie curable, genre dépression nerveuse. Et il semble que l’Etat se prépare à investir pour assumer de tels soins, alors que faute d’argent il se désengage de beaucoup de circuits d’entraide. Enfin, d’autres vont même jusqu’à s’indigner qu’on laisse juger des français à l’étranger où les « pauvres » risquent la peine de mort pour complicité de crimes avec l’organisation Daesh ! Aurait-on oublié leur ampleur et leur horreur ? Notre ministre des affaires étrangères a répondu comme il fallait, d’autant plus qu’il avait fait son devoir, et les habituels défenseurs des droits de l’homme lui « sont quand même tombés dessus. » ! Et je pourrais continuer mes tristes exemples de marches sur la tête, car le pire n’est peut-être pas encore mis en évidence.

Aussi est-il plus que temps de faire appel aux ressources de l’ancienne France. Et là, je cite Jean de Viguerie: « La France a précédé la patrie. Quand le mot patrie fit au seizième siècle son entrée dans la langue française, la France existait depuis très longtemps. Avant d’aimer la patrie, les français ont été attachés à la France….cette France est leur pays natal, celui de leur prince, de leur famille et de leurs amis et compagnons. Ils ont avec elle des liens charnels. Ils ne peuvent prononcer son nom sans tendresse. Ils l’appellent « France douce. »[1]. A l’époque de Jeanne, tous ceux qui se réclament de la France savent cela. Mais il y a doute pour savoir qui incarne la vraie France. Aussi la vérité va apparaître : c’est la France de Charles VII que Dieu vient sauver par la Pucelle et non une autre ! Il peut donc sembler exister deux Frances. Mais Jeanne, au nom de Dieu vient nous dire que c’est une imposture. C’est alors que le diable va se charger de contourner l’obstacle, en changeant le sens du mot patrie. C’est tout le sujet du très beau livre de Jean de Viguerie.

Une dernière remarque sur l’éclosion de la patrie révolutionnaire et ses divers masques qui lui permettent encore aujourd’hui de poursuivre son œuvre de destruction. Ce qui s’est déchaîné à partir de 1789, n’était pas né à cette époque, et ne disparut pas avec elle. La culture de mort est généreuse en moyens d’addiction et d’hallucinations en tout genre, et ce d’autant plus facilement qu’elle fait toujours baisser le niveau culturel des peuples, pour mieux les abrutir et les mener à l’abattoir ! Voyez ce que deviennent les guerres à partir de la révolution française. Il est vrai que celle-ci avait beaucoup emprunté au patriotisme romain qui exaltait la mort pour la patrie, et sans lésiner sur la quantité s’il le fallait. Telle ne peut être la vision chrétienne sur ces questions, qui sans exclure le risque de devoir donner sa vie pour la patrie, sera toujours économe du sang humain. Ce qui va aussi souvent dans l’intérêt militaire bien compris. Évoquant l’action de Jeanne, dont la violence n’était pas exclue, Jean de Viguerie écrit : « L’héroïne n’a pas la moindre idée d’une patrie de type romain. Elle exige beaucoup du roi, de ses lieutenants, de ses soldats, mais nous ne l’entendons jamais réclamer ni l’insurrection générale, ni la levée en masse. Sa doctrine est simple et traditionnelle : que ceux qui ont la charge de gouverner ou de combattre fassent tous et jusqu’au bout leur devoir. Cela suffira. « Les hommes d’armes batailleront.. » ; « Travaillez, Dieu travaillera. » ; «  le roi exercera sa charge, et le pays sera relevé. ». La Pucelle ne demande qu’à un petit nombre d’exposer leurs vies. Sa libération n’a pas besoin de grands massacres. Elle veut sauver la France et non pas lui enlever la vie qui lui reste. »[2]

Dans l’urgence où nous sommes, il faut que ceux qui nous gouvernent fassent leur travail en matière de lois et nous donne une législation adaptée à la situation de guerre terroriste que nous subissons ! Que les juristes définissent les choses selon le droit, mais qu’ils permettent à notre pays de se défendre et de protéger les plus faibles. Et je rappelle à ce sujet que « L’enseignement traditionnel de l’Eglise … n’exclut pas le recours à la peine de mort. » (Catéchisme de l’Eglise catholique de Saint Jean Paul Il de 1992 no 2267). Il ne s’agit pas dans mon esprit de rétablissement général, mais d’un recours consécutif à une situation exceptionnelle du pays. Tout manque de rigueur contre le fanatisme est assimilé à de la complaisance et à de la faiblesse, et ceux qui dans de pareilles situations veulent avoir pitié de tout le monde sacrifient les plus faibles et les plus vulnérables.

« La France est une terre de règlements de comptes que favorisent les changements de régime. » écrit justement Jean Tulard à propos de la Terreur blanche de 1795[3].  Nos gouvernants et nous-mêmes devrions y réfléchir, avec simplement ce chiffre repaire de 30 000 condamnés à mort exécutés (officiels) après la libération de la France  à partir de l’été 1944 ! Veut-on prendre le risque de revoir de pareilles horreurs quand l’exaspération de certains sera à son comble parce que les limites du supportable auront été franchies ? Et ce type de drames peut vite survenir. Qui aurait pu prévoir le 14 juillet 1790, dans la joie de la fête de la Fédération, unissant tous les français autour de leur roi, les horribles massacres de début septembre 1792, prémices de différentes terreurs successives encore plus meurtrières, dont le génocide vendéen ?

Mais tout cela ne dispense pas l’Eglise et les chrétiens de faire eux aussi leur travail ! Qu’ils arrêtent de se comporter comme des syndics de faillites. Ils doivent réévangéliser leur pays et faire en sorte que la religion catholique redevienne celle de la majorité des français, ce qui ne veut pas dire religion d’Etat ! Car, qu’on le veuille ou non, la France est leur, ce sont eux qui l’ont faite. Et s’il y a des intrus, ce ne sont pas eux. Qu’ils imitent Jeanne d’Arc !

 

Homélie

Ce passage de l’Evangile extrait du sanctoral pour la fête de Sainte Jeanne d’Arc est le même que dans la forme extraordinaire, mais là s’arrête cette heureuse continuité. Deux choses me paraissent nécessaires à relever avant d’aller plus loin : les conditions pour suivre Jésus. Renoncer à soi-même en se chargeant de sa croix et se tenir prêt à donner sa vie à cause de lui, comme lui-même l’a fait pour nous. Notons enfin que cette importante recommandation du Christ à ses disciples est faite dans le chapitre 16 de Saint Matthieu, immédiatement après la confession de Pierre, faisant de cet apôtre le chef de l’Eglise, en tant que Vicaire du Seigneur, lequel qualifiera ce même Pierre de Satan, parce qu’il refuse la croix.

Alors, souvenons-nous, quand Jeanne brûle sur le bûcher de Rouen ce 30 mai 1431, elle subit la condamnation d’un tribunal ecclésiastique présidé par le très sérieux évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, un inquisiteur fut même présent mais à contre cœur, Jean  Le Maître, dominicain, qui dut obéir à son supérieur,  ainsi que le célèbre Jean d’Estivet, chanoine de Beauvais, un des plus féroces accusateurs de Jeanne ! Les autres juges furent en majorité des prêtres français, dans l’ensemble créatures de la Sorbonne, sur 113 juges, au moins 80 viennent de l’université de Paris avec laquelle Cauchon était au mieux. Ce dernier tenait le roi d’Angleterre comme légitime roi de France. Il avait le traité de Troyes pour lui, et le fait non négligeable que Jeanne ait attaqué Paris  la veille de la fête de la Nativité de la Vierge ! Paris, et ses dirigeants, favorables aux anglo-bourguignons, n’aimaient pas Jeanne. On ne fut donc pas trop regardant sur le fait que le procès, juges inclus, fut payé par le roi d’Angleterre,  et que l’accusée ait été de plus détenue dans une prison militaire et non d’Eglise. Deux irrégularités graves pour un procès ecclésiastique ! Jeanne avait fait plusieurs fois appel au Pape ! Elle était dans son droit, mais ses juges n’en tinrent jamais compte ! Pourquoi ? Négligence ? Difficile à croire dans un tel procès où l’on se voulait au maximum méticuleux, compte tenu des enjeux.

Il faut se souvenir alors de la date de 1431, et de ce qu’elle représente dans l’histoire de l’Eglise, ce qu’on omet trop souvent. C’est en effet presque la fin du grand schisme d’Occident qui a divisé l’Eglise catholique  presque 40 ans avec deux Papes s’excommuniant l’un l’autre avec leurs partisans de 1378 à 1409, puis de 1409 (Concile de Pise) avec trois Papes, poursuivant cette même œuvre de division et ce, jusqu’en 1417. C’est en effet le 11 novembre de cette année que le Concile, réuni à Constance depuis 1414, réussit à élire Martin V. Le cœur du nouveau Pape penchait pour le parti anglais, ce qui était gênant pour les partisans des Valois, mais il avait dû accepter le décret “Haec Sancta“ voté le 6 avril 1415 qui affirmait la suprématie du concile sur le Pape, aggravé en 1417 par le décret “frequens“ faisant obligation au Pape de convoquer des conciles régulièrement, cinq ans après Constance puis tous les dix ans. Et cette « doctrine » appelée conciliarisme, que l’Eglise ne tardera pas à condamner était loin de déplaire aux rois de France, parce qu’elle favorisait le gallicanisme. Martin V s’exécuta volontiers pour la réunion du premier concile, concession nécessaire à une assemblée qui avait rétabli l’unité catholique en l’élisant. Mais sa mort, le 21 février 1431 lui épargna l’acte funeste de la seconde convocation.  Son successeur Eugène IV fut élu le 3 mars 1431, et à partir du concile de Bâle qu’il devra convoquer cette année là il arrivera à démonter avec succès le conciliarisme. En 1516, avec le concordat de Bologne, François 1er renonça d’ailleurs à cette doctrine, s’écartant ainsi de la position prise par Charles VII lors de la pragmatique sanction de Bourges du 7 juillet 1438. Quant au procès de Jeanne, il était commencé depuis le 21 février date de la mort de Martin V. C’est dire qu’en ces mois de 1431, au moment du procès, la papauté ne commençait qu’à revivre, diminuée cependant spirituellement et moralement. Quels pontifes avaient eu le courage de se saisir de La Croix du Christ pour la porter et rétablir l’unité ? Et ce au risque de sa propre gloire ? Aucun à notre connaissance ! C’est l’empereur, un laïc, qui prit l’initiative et le risque de convoquer le concile de Constance, en faisant pression sur le pire des trois pontifes, Balthasar Cossa, dit Jean XXIII, qu’on se dépêcha ensuite de destituer, tant il faisait honte à l’Eglise. Et c’est pourtant lui qui avait le plus de partisans. Comme quoi les règles de la démocratie ne conviennent pas à l’Eglise. Car elles ne reflètent rien d’autre que le démenti de Matthieu 16, l’autorité de Pierre, que j’évoquais au début de cette méditation. Cela dit, cette affreuse hérésie conciliariste  que Martin V ne pourra pas vaincre et qui emprisonnait encore Eugène IV, en 1431, au tout début de son pontificat, neutralisait par avance toute possibilité d’action romaine pour le procès de Jeanne. Pas de Pape, ou un Pape impuissant, pas de bonne justice ecclésiastique ! Pas de Pape, et pas d’Eglise catholique forte et unie, et la France, sa fille aînée, en la personne de son roi manque aux devoirs spirituels qu’il incombe à celui qui porte le titre de roi très chrétien d’accomplir en premier. Charles VII ne fit rien de sérieux pour sauver Jeanne, au nom de bonnes raisons politiques certes, la préparation de la paix avec le camp bourguignon. Mais n’aurait-il pas dû penser que cela aurait pu lui être donné par surcroît ?  Et de plus, à bien y réfléchir, et heureusement c’est ce que finit par faire le roi : que valait son sacre, en contradiction avec un traité juré, fondé à partir d’une loi de succession encore floue et mal établie, obtenu de plus par l’action d’une sorcière condamnée par un tribunal d’Eglise ? D’où le procès en réhabilitation qui nous en apprend plus sur notre Sainte que tout ce qui a pu être dit ou écrit auparavant.

Cela dit, un bûcher, même s’il ouvre la porte du ciel n’est jamais quelque chose de beau, surtout quand il a été allumé par des chrétiens. Et pire encore, quand le patriotisme qui les aura inspiré aura agi par surdité aux ordres de Dieu. Car, ne vous y trompez pas, Cauchon et ses complices étaient des patriotes ;  la question qui se posait à eux n’était pas celle de la fidélité à une nation : la France ou l’Angleterre, les Valois et les Plantagenets étaient des familles françaises, tant par leur langue que par le sang capétien qui coulait dans leurs veines. Les armagnacs, les bourguignons, les navarrais n’étaient pas si éloignés ! Mais depuis la mort du premier fils de Philippe le Bel, Louis X, la question de la légitimité successorale s’était posée en France pour la première fois à la royauté capétienne. Une règle avait commencé à s’établir. L’accord se fit unanimement sur la succession de mâle en mâle, la fille de Louis X ne régna pas après la mort de son très jeune frère Jean 1er, c’est son oncle, frère du roi défunt qui régna sous le nom de Philippe V. En France, il s’avérait que les femmes ne pouvaient pas régner, et à partir de cette idée qu’elles ne pouvaient pas non plus transmettre la couronne. Le recul historique nous montre à quel point cette disposition fut précieuse pour la construction de la France.  Pour faire bref, je dirai qu’elle restreignait les possibilités de succession à une seule famille, quitte à changer de branche si nécessaire, et permettait à la France d’utiliser les alliances matrimoniales royales pour sa seule expansion à ses frontières naturelles, sans risque de “dépeçage“ territorial à la mort d’un souverain. Cela devait lui permettre de remplir son rôle de premier pays à porter la croix du Christ, s’affirmant comme la patrie des droits de Dieu, jusqu’aux jours où l’on en fit la patrie des droits de l’homme, pour la plus grande gloire du diable !

Le roi d’Angleterre, qui déclencha la guerre de cent ans, Edouard III, sans doute à cause de son ascendance française, qui le plaçait très près de la couronne des lys, ne voulut pas voir l’utilité de la loi salique comme solide rempart contre les guerres civiles et religieuses. Après cette triste guerre, l’Angleterre le paiera très cher, peu après la guerre de cent ans avec la guerre des deux roses, et plus tard, un siècle avant nous, en risquant d’exploser. Mais parce que la mise à mort de son roi, Charles 1er, demeura un règlement de comptes entre chrétiens et qu’on eut la sagesse de rappeler le roi légitime, en précisant la loi de succession au trône, l’Angleterre sauva encore beaucoup d’éléments de sa civilisation, et ce, jusqu’à aujourd’hui. Nous, français, nous persévérons dans le crime du 21 janvier 1793, reniement de toute l’oeuvre de Jeanne d’Arc que nous continuons pourtant à célébrer. Certes l’Eglise l’a béatifiée puis canonisée…. en prenant son temps ! Et même la République lui a accordé une fête ! Nous conclurons sur ces deux points.

Le temps me manque bien évidemment pour exposer une démonstration. Je me bornerai à vous suggérer quelques pistes de réflexion, parce que je pense à 2020, à la commémoration du centenaire de la canonisation de Jeanne d’Arc. En théologie catholique comme du point de vue strictement historique, il est clair que la cause du martyre ne pouvait être retenue, ni pour la proclamer Vénérable, puis Bienheureuse et enfin Sainte ! Elle n’avait pas été tuée “en haine de la foi catholique“, pour reprendre l’expression rituelle. Jeanne est morte pour avoir obéi à Dieu en sauvant la France, en risquant sa vie en toute connaissance de cause ! Elle n’a donc pas craint la mort pour mener sa mission à bien, prenant même le risque supplémentaire de s’aliéner ceux qui représentaient Dieu sur la terre: le pouvoir spirituel de l’Eglise, le pouvoir temporel des rois. Pour faire bref, je dirai que les hautes vertus de Jeanne étaient d’ordre patriotique, et c’est bien là qu’était le problème ! Écoutons un historien contemporain qui par ailleurs dit des choses justes sur Jeanne : ”La canonisation honore la personnalité de Jeanne d’Arc, en aucune manière son action au service de l’héritier des Valois. Il paraît en effet invraisemblable ,même aux chrétiens les plus sincères, que Dieu ait pu entraîner Jeanne dans une querelle entre deux rois et deux partis qui n’étaient pas moins catholiques l’un que l’autre”. S’il est incontestablement vrai que les deux compétiteurs de la couronne de France étaient tous deux catholiques, il est complètement faux de mettre entre parenthèses la question de la légitimité du descendant des Valois, dans les motivations de Jeanne, donc aussi dans celles de l’Eglise qui l’a canonisée.

L’essentiel du mystère Jeanne d’Arc porte justement sur cette affaire dont l’importance se manifeste dès la première rencontre de Jeanne et du Dauphin à Chinon ! Ainsi notre historien, avec beaucoup de français catholiques qui pensent la même chose, oublie tout simplement ce que l’on est en droit d’appeler l’élection de la France depuis Clovis et Charlemagne, le lien indissoluble crée entre celui qui gouverne la France et celui qui siège sur le trône de Pierre, le rôle de la continuité dynastique et du sacre, le tout devant servir le témoignage de l’Eglise catholique pour répandre l’Evangile dans les autres nations. Et s’il est vrai que les deux rois rivaux étaient catholiques, l’anglais ne le resta pas dans sa descendance. A peu près un siècle après l’affaire Jeanne, l’Angleterre se sépara de Rome en 1534. Quand on connaît la ténacité anglaise, on peut donc se risquer à dire que, si Charles VII et Jeanne avaient été battus un siècle plus tôt, la France aurait été protestante, perdant son beau titre de “Fille aînée de l’Eglise”. Relisez sur ce point les belles lignes qu’écrivit Gabriel Hanotaux qui représenta la France à Rome, comme ministre plénipotentiaire, lors de la cérémonie de canonisation en 1920.

La sainteté de Jeanne a donc bien une double origine : sa personne de chrétienne avec les vertus particulières qui l’accompagnent, et sa mission patriotique obligatoirement confondue dans le service de la France et de son roi légitime, cette action étant liée, je le répète au rôle singulier de la France. Le Pape Saint Pie X qui fit proclamer Jeanne Bienheureuse en 1909, en était bien conscient. Voici ce qu’il déclara solennellement en 1904, devant l’évêque d’Orléans et une nombreuse assemblée à la suite d’un consistoire : ”Soyons dans la joie, car la nation française…. trouve dans le souvenir des vertus et des services de la vénérable Jeanne d’Arc l’occasion d’apprendre que son bien suprême, sa gloire principale, doit être de demeurer attachée à la religion catholique, de révérer sa sainteté et de défendre ses droits ainsi que sa liberté.” Voilà pour la mission ! Prudemment le Pape ne se risquait pas sur le terrain du “ roi légitime“. Nous sommes en 1904, ne l’oublions pas ! Le torchon brûle entre l’Eglise et la République française. En 1905, ce sera la séparation, dans des conditions difficiles, mais qui auraient pu être pires. En 1904, rien n’est joué ! Mais la prudence du Saint Père n’est pas mutisme puisqu’il risque cette phrase sur la situation de la France dans ses relations avec le Saint Siège “l’état des choses actuel laisse hélas beaucoup à désirer.”. Tout était donc très clair pour qui voulait se donner la peine de comprendre.

Le 16 mai 1920, Benoît XV qui procéda à la canonisation eut la possibilité d’en dire plus sans risque pour l’Eglise de France. Voici un court extrait de son discours : ”Après cinq siècles les vertus de Jeanne sont consacrées magnifiquement près du tombeau de Saint Pierre… cela n’arrive pas sans un secret dessein du ciel à une époque où les gouvernements ne veulent plus reconnaître le règne du Christ. Et pourtant il faut qu’il règne, Celui que son Père a établi héritier de toutes choses. Que les rois et les juges de la terre comprennent que Celui qui a sauvé par la main d’une femme une puissante nation d’un péril extrême, est le même qui dirige souverainement le cours des affaires de ce monde, et que ce n’est pas toujours en vain qu’on refuse de se soumettre à sa volonté souveraine. Et que les catholiques, s’inspirant des exemples de Jeanne d’Arc, se confient dans son patronage, soumettent en toutes choses leur esprit et leur cœur à Jésus Christ ; servir le Sauveur, c’est régner maintenant et dans l’éternité.”

Ainsi était il bien clair que Jeanne était sainte parce qu’elle avait été l’instrument docile de Dieu pour sauver son pays. Et ce, à la tête d’une armée  subitement victorieuse, conduisant, tout aussi rapidement le légitime roi de France au sacre de Reims. En recevant sur sa tête la couronne de ses pères, il la replaçait sur la tête du Christ, dans la fidélité au pacte de Clovis et de Charlemagne. Jeanne saura plus tard le lui rappeler quand elle lui demandera de lui faire don de son royaume… elle savait qu’il n’avait pas encore tout compris. Seule la sainteté peut être rapide, tout simplement parce qu’elle découle de l’éternité de Dieu.

Tout catholique, et un français tout spécialement, doit donc bien savoir que la sainteté de Jeanne inclut non seulement ses vertus personnelles propres, mais encore sa mission particulière au service de la France. Mais pas de n’importe quelle France, la France patrie des vertus chrétiennes et premier guide catholique des nations.

Pour bien comprendre cela, je vous fais le devoir, comme votre aumônier, de relire le très beau livre de Jean de Viguerie “Les deux patries“. Et vous comprendrez pourquoi le Pape Benoît XV, qui s’exprimait en 1920 sur le patriotisme d’une jeune fille du XVème siècle, pouvait le sanctifier en même temps qu’elle. Alors que le patriotisme de 1920, s’il avait conservé ses manifestations de courage, ne pouvait être que suspect ! Issu de la révolution française, et même de causes antérieures, il véhiculait une culture de mort incompatible avec les exigences de l’Evangile de vie, et de ce fait, la France commençait déjà à n’être plus la France. N’oubliez jamais que pour les philosophes des Lumières, ennemis jurés de la foi chrétienne, la patrie n’est qu’un lieu où l’on se trouve bien, et où l’on peut jouir de tous les plaisirs possibles. C’est pour obéir à cette logique que tout ce qui est français en France doit aujourd’hui, et depuis un moment, céder la place au Cosmopolite ! Il ne faut donc pas s’étonner que la fête républicaine de Jeanne soit passée aux oubliettes ! Et c’est la même perte pour les pays qui se sont laissés envahir par cette idéologie des Lumières. Alors pour reprendre le programme de Jeanne, “boutons hors de France “! Non pas en priorité des personnes, mais en tout premier lieu ce qui pollue nos propres esprits, tout ce qui a faussé leur jugement ! Et pour cela il faut tout simplement commencer par une levée en masse pour retourner dans nos églises et les remplir, et à partir d’elles, couvrir la France de vraies processions. Jeanne est co-patronne de la France ne l’oublions pas, son étendard , reflet de la croix du Christ, peut encore nous conduire très loin, et qui sait, pourquoi pas en passant par Reims ?

Amen


[1] Jean de Viguerie «  Les deux patries. » p 13 édition DDM

[2]Jean de Viguerie op cité p 31

[3]Jean Tulard de l’Institut « Les Thermidoriens » p 76 édition Fayard

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