Un préfet ou un calife pour « l’islam en France » ?

L’annonce récente du Président de la République, Emmanuel Macron de s’occuper de l’organisation du culte musulman en France constitue un événement capital dans ce quinquennat, et pourrait même, si un tel projet était mené dans de bonnes conditions et orientations, se révéler l’un des plus utiles pour la France. Personne n’en a eu le courage jusqu’à présent du fait de l’agitation des fantômes de la loi de 1905, de divers concours de circonstances, de jeux idéologiques pervers avec l’islam et de la pusillanimité de tant de dirigeants politiques.

Je ne saurais cependant donner blanc-seing au président : j’appelle certes de mes vœux un bon projet, établi sur de bonnes bases et bien mené, avec toute l’assurance, la volonté et l’autorité d’un président hardi ; mais, connaissant le sujet[1], sa difficulté, ses enjeux, et au vu des quelques signaux déjà perçus depuis la campagne présidentielle – nature des réseaux de pouvoir qui ont soutenu le candidat Macron, parution du fameux rapport de l’Institut Montaigne « Un islam français est possible »[2]… – et de la très mauvaise orientation de la gestion de l’islam en France depuis les années 1980, je reste circonspect, et propose ces quelques conseils.

Spécificité de l’islam

Tout d’abord, j’ajoute être perplexe devant certaines expressions comme « islam de France » ou « Grand imam de France ». L’imam dans le sunnisme n’est en effet que le simple conducteur de la prière rituelle (salat), rôle qui peut être tenu par n’importe quel musulman. Les mosquées ont généralement un imam permanent, qui donne de plus les sermons lors de la prière du vendredi, assumant alors un rôle supplémentaire de prédicateur. Il peut de plus être le recteur de la mosquée, en en assumant la direction fonctionnelle. Par mimétisme, par égalitarisme républicain et par ignorance de l’islam, les non musulmans se fourvoient donc à considérer l’imam à l’équivalence d’un prêtre. Notamment pour ce qui relève de son influence réelle vis-à-vis de ses fidèles. Que serait alors ce « grand imam » souhaité par certains ? Un « cardinal-imam » ? Un « archi-imam » ? Et pourquoi pas un ayatollah ? Ces concepts n’ont pas de sens dans l’islam sunnite. Il suffit de considérer ce qui se passe dans les pays musulmans (sunnites) pour se rendre compte qu’au final, dans chacun d’eux, le chef de la religion est le dirigeant politique, par le biais des diverses officines et ministères des « affaires religieuses » (en fait des « ministères de l’islam ») par lesquels il garde la main sur « la religion », s’assurant de la docilité de ses autorités, recteurs des mosquées, « savants », juristes que sont les oulémas (savant), muftis (savants habilités à interpréter la charia et émettre des fatwa) et autres cadis (juges, rendant la justice au nom de la loi musulmane). Envisagerait-on de fonder un « islam de France » pour que le chef de l’Etat le dirige comme ses homologues musulmans le font dans leurs pays, eux qui y savourent les bénéfices d’une religion idéalement formatée pour le contrôle social[3] ? Il existe ainsi déjà, à Mayotte, un « Grand cadi de la République », juge musulman nommé par le préfet sur concours. Il a un rôle reconnu en matière de justice de première instance, pour d’autres rapports sociaux aussi, le tout lié au « droit coutumier » musulman (la charia). On pourrait y voir déjà une tentative de la République de s’appuyer sur l’islam pour contrôler les populations civiles, comme elle tenta de le faire dans l’Algérie coloniale – au prix de la révolte indépendantiste – et comme, de fait, c’est déjà le cas dans certains quartiers dont on sous-traite la gestion à un certain « ordre musulman »[4]. On sait ce qu’il en fut de l’Algérie, on craint le pire pour les « quartiers », et, d’après ce que je sais, cela ne va pas non plus sans problème à Mayotte. L’islam est de fait extrêmement rétif à sa mise sous tutelle par un pouvoir non musulman – et plus encore par un pouvoir ouvertement athée, une abomination selon lui. Et la République travaillée par les fantômes de 1905 peut l’être tout autant : ceux-ci lui interdisent, théoriquement, de mettre son nez dans les « affaires religieuses », laissant ainsi libre cours, dans les faits, au développement de l’islam politique – l’islam étant, jusqu’à preuve du contraire, intrinsèquement et consubstantiellement politique, et ce depuis ses origines, jusqu’au modèle que sa tradition présente de son prophète. Cette même loi de 1905 pourrait permettre cependant, appliquée avec discernement, de contrôler l’islam politique. Mais, considérée depuis sa genèse comme machine de guerre contre l’Eglise catholique, ses plus ardents laudateurs ne l’ont ainsi pas réellement appliquée à l’islam, ni dans son règlement de police des cultes (titre V, article 26 : « Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte » ou article 31, censé garantir une liberté de conscience[5] sur laquelle se sont assis les fondateurs du CFCM[6]), ni dans ses principes d’interdiction du financement public des cultes, souvent contournées par des martingales juridiques.

Remettre en cause la loi de 1905

C’est pourquoi j’approuve la remise en cause de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905, ce spectre omniprésent dans la majorité des foyers politiques, sans oublier les Églises, temples et synagogues ! C’est dire que depuis 1905 ce fantôme mène grand train, il est intouchable et sacré, sème toujours la crainte, au point que pour les yeux qui osent rester ouverts devant lui, il ne suscite dans la majorité des cas que des regards de bovins ! Ainsi un de nos anciens présidents qui se voulait à la pointe de l’esprit républicain et d’une laïcité qui lui serait consubstantielle n’hésitait-il pas à qualifier cette loi de « colonne du Temple » ! Il lui donnait ainsi, par la formule qu’il employait, une connotation religieuse ! La Laïcité-laïcisme était devenue la religion de la République, la loi qui la mettait en place était donc sacrée. Quiconque manifesterait l’intention d’y changer quoi que ce soit, ou pire, de la remettre complètement en cause ferait s’écrouler « le Sanctuaire ».

Le Président Macron a eu le courage de briser un tabou et l’intelligence de le faire en pédagogue. En remettant à plus tard, sans y renoncer, sa grande intervention sur la laïcité, il se propose d’aborder d’abord la question à partir d’un exemple pratique, l’organisation de la vie religieuse des musulmans en France, dont beaucoup sont français et qui de ce fait, ont d’incontestables droits. Pour en tenir compte avec le maximum de justice et de réalisme deux conditions doivent être remplies : premièrement que la communauté musulmane s’organise par elle-même, deuxièmement que l’État puisse participer à cette organisation pour tout ce qui a des conséquences sur l’ordre public.

Cette dernière réflexion me ramène à la loi de 1905, cause première de l’inefficacité de l’Etat en matière religieuse. Et puisque la France est aujourd’hui constituée en République, et qu’un catholique est tenu, par motif de conscience de respecter cette forme de régime, pourvu qu’il y distingue soigneusement, comme Léon XIII l’avait ordonné en 1892, les pouvoirs constitués de la législation[7], je ne me référerai ici qu’à des propos de républicains incontestés, qui par leur action ont œuvré utilement pour le bien commun de notre pays et pour son « vivre ensemble » dont on parle tant ! Chacun devinera facilement que je ne puis tout approuver de leur œuvre, mais qu’il m’est possible de reconnaître la valeur de tel ou tel aspect de leur combat.

Ma première référence concerne l’idolâtrie des lois (pensant à celle de 1905, en particulier) dans laquelle certains prétendent nous enfermer sous prétexte de sauvegarder notre liberté ! Voici ce qu’en pensait Condorcet : « La Constitution française (celle de 1791) a reconnu que la Nation a le droit inaliénable et imprescriptible de réformer toutes ses lois : elle a donc voulu que, dans l’instruction nationale, tout fut soumis à un examen rigoureux. Elle n’a donné à aucune loi une irrévocabilité de plus de dix années. Elle a donc voulu que les principes de toutes les lois fussent discutés, que toutes les théories politiques pussent être enseignées et combattues, qu’aucun système d’organisation sociale ne fut offert ni à l’enthousiasme ni aux préjugés, comme l’objet d’un culte superstitieux, mais que tous fussent présentés à la raison, comme des combinaisons diverses entre lesquelles elle a le droit de choisir. Aurait-on réellement respecté cette indépendance inaliénable du peuple, si on s’était permis de fortifier quelques opinions particulières de tout le poids que peut leur donner un enseignement général ; et le pouvoir qui se serait arrogé le droit de choisir ces opinions n’aurait-il pas véritablement usurpé une portion de la souveraineté nationale ? » [8]

Il est plus que temps d’appliquer à la loi de 1905 ce que pensait Condorcet de toutes les lois. Cette dernière était très liée aux combats idéologiques de la France métropolitaine de ce temps, dont l’islam était totalement absent.

Là où il était présent, en dehors de l’hexagone, on sut se souvenir et mettre en pratique cette réflexion de Gambetta : « l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation »[9]. L’article 2 de la loi de 1905 disposant que : « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte », peut donc être dénoncé comme obsolète, au nom de la simple raison et de la liberté des consciences. Et de cette dernière nécessité, l’État, quelle que soit sa forme politique est garant. Et là, je voudrais de suite lever un doute. Je ne suis nullement partisan d’un nouveau concordat, et ce pour aucune des religions pratiquées en France. Les mots « ne salarient aucun culte » ne me gênent donc pas, pas plus que les réalités qui en découlent. Ce qui est irréaliste et particulièrement intenable aujourd’hui ce sont les attitudes recouvertes par les expressions «ne pas reconnaître » et « ne pas subventionner ».

D’ailleurs, et ce depuis des années, ces dispositions sont contournées, avec le plus souvent de bonnes intentions, et parfois même de justes finalités. Mais la loi n’est pas appliquée, tout en étant maintenue. Cette situation n’est pas saine. Aussi la République doit reconnaître les cultes des citoyens qui sont soumis à ses lois, non pas par respect pour leurs croyances et leurs dogmes – et certainement pas, par adhésion (je refuse donc le principe d’une religion d’Etat) – mais par respect des citoyens eux-mêmes, de leurs consciences et de leur diversité ! Pour certains, en effet, la croyance religieuse fait partie de leur être et entraîne une pratique. D’autres disent s’en passer. Chacun peut ainsi fonder les comportements les plus divers dans sa croyance ou sa non-croyance, allant de la tolérance au fanatisme, voire aux voies de fait contre certains. Un gouvernement digne de ce nom, soucieux de l’ordre public et du Bien commun, ne peut y être indifférent.

Les failles de la loi de 1905

Alors je pose la question : comment un État peut-il être crédible comme arbitre de paix entre ses différents citoyens si certaines de ses lois l’empêchent d’être entendu par toute une partie de la nation, qui le jugera partial ? Et ce très précisément à cause de la loi de 1905, apparaissant de plus en plus comme la loi anti religieuse qu’elle était chez ses concepteurs (Émile Combes, entre autre), mais certainement pas chez celui qui la fit voter (Aristide Briand). Je reviendrai sur cette importante distinction. Comme l’a écrit fort justement Jean Baubérot, il existe en France différentes formes de laïcités[10]. Ce phénomène n’est pas assez connu et brouille nombre de réflexions.

Mais je veux en rester pour l’instant à un deuxième effet négatif de la loi. Elle empêche l’Etat de tenir le moindre discours officiel sur les questions religieuses au nom de la sacro-sainte Laïcité ! Pour faire bref, je dirai qu’en 1905, cela n’avait pas trop grande importance. Dans la société française de cette époque, à peu près tous les responsables savaient ce qu’étaient les religions juive et chrétiennes, que ces dernières fussent protestantes ou catholique. En 2018, qui pourrait en dire autant ? Et quand à la connaissance de l’islam, c’est encore pire ! Pourquoi ? Parce qu’à l’ignorance crasse se joint une œuvre de désinformation, hélas organisée, et de protection idéologique de l’islam. Les autorités politiques et religieuses sont abusées et se sont condamnées elles-mêmes à ne dire, du moins officiellement, de l’islam que ce qu’il dit de lui-même, et à interdire dans les faits toute critique au nom de l’antiracisme idéologique, par crainte des accusations d’islamophobie et d’outrage au « vivre-ensemble ». La puissance publique ne devrait pas empêcher, ou contribuer à empêcher, que ne soient diffusées les critiques « intelligentes » de l’islam, et en particulier les avancées des connaissances sur les origines de l’islam. La France ne manque pas d’experts sur ce plan ! Ce n’est qu’à partir de cette connaissance qu’on pourra réfléchir utilement de l’avenir de l’islam en France. Car il faudra bien que d’une manière ou d’une autre les parlementaires se prononcent un jour sur cette question, et que pour cela ils soient éclairés. Avant de reconnaître, d’une manière ou d’une autre l’islam, encore faut-il le connaître lui-même, et nous en sommes loin, comme le montrent l’emploi à tort et à travers de concepts comme « islam de France » ou « Grand imam de France ».

J’en viens à Aristide Briand[11] . Nommé rapporteur de la loi de 1905, il la fit précéder d’un long rapport sur l’histoire de l’Eglise en France, à un moment pourtant où les parlementaires en étaient particulièrement instruits, comme le prouva alors la haute tenue des débats. Il intervenait de plus dans un climat de grande crise gouvernementale, puisqu’Emile Combes, l’instigateur principal de la loi, venait de démissionner avec tout son gouvernement suite au scandale de l’affaire des fiches, climat d’affrontements idéologiques aussi avec l’affaire Dreyfus qui depuis 1898 avait divisé gravement les Français. Au moment où Maurice Rouvier, nouveau président du conseil des ministres, à la place de Combes fit en sorte qu’il devienne rapporteur de la loi de séparation, Aristide Briand sut qu’il ne pouvait revenir sur le principe, et d’ailleurs, il ne le souhaitait pas. Mais il put agir sur les modalités pour éviter des fractures trop profondes, nuisibles au pays. Mais pour cela, il fallut prendre en compte les réalités religieuses en présence, comme par exemple ce qu’étaient le rôle, la nature et la fonction d’un Pape, d’un évêque, etc… Et il ne se priva pas de le rappeler à ses amis politiques de gauche, aidé en cela par l’introduction de ce long rapport sur l’histoire de l’Eglise, et par la pensée des progressistes d’alors qui voyaient dans la religion chrétienne le marchepied historique des Lumières – la France chrétienne des rois, « fille ainée de l’Eglise », pouvait être considérée dans le roman national républicain comme préfigurant alors la France universaliste des Lumières. Et dans les débats parlementaires qui suivirent, on ne craignit pas, de part et d’autre de discuter religion, très souvent avec pertinence. Briand chercha constamment à unifier et à pacifier autour d’un texte qui incitait pourtant à tout le contraire. Les députés de tout bord y furent sensibles puisque certains articles furent votés par une majorité composée de députés de droite et du parti socialiste, sous l’impulsion de Jaurès. Et c’est à ce moment que Caillaux, qui s’y connaissait, flaira en Briand un futur ministre ! La méthode Briand est à retenir ! Je le dis d’autant plus librement que je n’approuve pas la loi qu’il défendait et la considère comme mauvaise, à la suite de sa condamnation par le Pape Saint Pie X. Cela dit, cette loi, surtout amendée grâce au travail de Briand, s’inscrivait dans une logique politique, désolante certes, mais réelle ! L’Eglise catholique en tint compte dans sa manière de la refuser et finalement accepta un compromis purement juridique en 1924. À ma connaissance, elle ne demande pas aujourd’hui son retrait et la position que je défends, en le souhaitant, demeure pour l’instant minoritaire.

Imaginons un instant, un nouvel Aristide Briand rapporteur d’un projet gouvernemental d’organisation du culte musulman en France. Il serait limité dans son travail et les parlementaires tout aussi bridés dans leurs interventions. Et pour commencer, aurait-il le droit de faire précéder son projet politique d’une histoire de l’islam et du comportement des musulmans sous obédience française jusqu’à nos jours ? À tout moment, le rapporteur, comme les parlementaires, pourraient être interrompus pour crime de lèse laïcité dans le « temple » même qui en est le garant (j’entends par là nos deux assemblées). En s’enfermant dans une laïcité obligatoirement floue, l’Etat et ses représentants se sont liés les mains pour toute action constructive en matière religieuse. Mais en 1905 la majorité des députés et sénateurs, avec, il faut bien le reconnaître, une majorité de français pensaient que le religieux ne relevait que de la conscience privée. Aujourd’hui beaucoup ne sont pas loin d’affirmer les mêmes choses. Et pourtant, devant les audaces de l’Etat en matière de lois sociétales, ils attendent souvent de l’Eglise qu’elle prenne position. La loi de séparation, interprétée au sens le plus strict ne lui en donne pas le droit. L’Eglise est sensée ne s’occuper que de l’exercice du culte et des aumôneries. L’Etat en est donc réduit à ne pouvoir manifester ou non que de la tolérance ! Je renvoie sur cette question aux différentes aventures de la Manif pour tous !

Il faut abolir la loi de 1905 pour prendre en compte le fait musulman et aussi pour mieux gérer le fait chrétien

J’en reviens alors à l’islam en France. Et là, il est bien clair que sa pratique ne relève pas de la tolérance, mais de la loi puisqu’il ne s’agit plus d’un fait marginal mais que beaucoup de nos concitoyens pratiquent cette religion, sans compter les étrangers immigrés ! Pas plus qu’elle ne convient à l’Eglise catholique (Pie X et Pie XI ont condamné cette loi d’une manière définitive, on l’oublie trop souvent), la loi de 1905 ne convient à la communauté musulmane. Déjà se pose la question préalable du droit pour l’Etat de l’organiser et même de se mêler de son organisation. Cette loi lui ôte toute prétention dans ce domaine. S’il persévère à vouloir agir, ce que je souhaite, il doit donc l’abolir. Et pour cela passer par le Congrès car il s’agit d’une loi constitutionnelle. Cela vaudra pour toutes les religions existant sur le sol français ! La liberté religieuse n’en souffrira nullement. Qu’on s’informe auprès de nos frères d’Alsace Moselle ! Mais, je l’ai dit, il serait aventureux de travailler à un nouveau Concordat. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut le supprimer là où il existe. Il est au contraire nécessaire de l’y laisser tant qu’on n’aura rien de proposer d’autre que la loi de 1905. Il faut donc maintenir en place ce qui existe, ce qui signifie aussi qu’il ne saurait être question d’étendre cette législation aux musulmans dont les communautés n’ont pas le même passé en France que celles qui vivent sous régime concordataire dans ces deux départements. Cela dit, je précise les raisons de mon opposition à un retour au concordat. Signé en 1801, il devait obligatoirement engendrer des articles organiques. En 1802, Bonaparte, comme premier consul d’une république responsable d’une anarchie antireligieuse sanglante et du développement d’une haine anticatholique jamais atteinte en France ne pouvait être qu’autoritaire envers toutes les parties. Ce qui fut signé en 1801 et en 1802 n’aurait dû constituer qu’une étape. Elle dura en fait un siècle ! L’alliance du trône et de l’autel, qui ne date que de cette époque, fut nuisible aux deux parce qu’elle dura trop longtemps et se termina dans le climat d’un divorce[12] pour faute.

Dans l’état d’esprit actuel une négociation de concordat relèverait de l’illusion dangereuse tant avec les Églises reconnues avant 1905, qu’avec la communauté musulmane.

Le but à atteindre aujourd’hui est une simple loi de réglementation des relations entre les Églises et l’Etat, en donnant au mot d’Église son sens premier d’assemblée, ce qui recouvre les différentes communautés religieuses vivant en France. On pourrait aussi dire « Loi de réglementation des relations entre les religions et l’Etat. ». Ses deux préoccupations majeures seraient de préserver l’indépendance de l’Etat par rapport à toute influence religieuse, et par la même son autorité ainsi que de permettre aux différentes religions pratiquées sur le territoire qu’il contrôle de vivre conformément à leurs principes, en paix avec les autres et sans nuire à l’ordre public. Et il conviendrait effectivement de commencer par la communauté musulmane parce qu’il y a urgence et que sa présence nouvelle sur le territoire national requiert des dispositions particulières. Avant toute discussion, il serait pertinent d’interroger les français musulmans en s’inspirant des douze questions posées aux Juifs de France par l’empereur Napoléon en 1807 (avec quelques adaptations) avant la création du Consistoire israélite.

La nécessaire acclimatation de l’islam à la situation française

Ensuite, il semble incontournable de prendre en compte le caractère universel de l’islam tout comme le fait qu’il n’est pas seulement une religion mais aussi et d’abord une loi, comme l’atteste l’immense majorité des musulmans dans le monde, loi explicitée dans les différents codes juridiques des écoles de l’islam sunnite, et qu’on appelle charia. Il ne peut donc y avoir d’islam de France comme d’Eglise catholique de France. On ne devrait parler que d’un islam en France, qui devrait, tout comme l’Eglise catholique le fait avec son code de droit canon, donner obligatoirement priorité aux lois de l’Etat pour tout ce qui concerne la vie dans la cité. Mais on devrait prévoir des cas d’objection de conscience pour certaines lois relativement récentes, brisant le consensus historique entre République et foi chrétienne fondé par Jules Ferry lorsqu’il évoquait la « bonne vieille morale de nos pères » comme exemple et référence pour la morale laïque républicaine. On vote désormais des lois blessant gravement les convictions religieuses et philosophiques, comme l’obligation pour un officier d’état civil de célébrer un « mariage » entre personnes de même sexe, ou celle pour un étudiant en médecine d’assister ou de participer à certains actes qualifiés de médicaux, comme l’avortement.

Cette organisation du culte musulman en France devra être l’occasion pour le pouvoir d’affirmer la primauté du droit national pour ce qui relève en particulier des éléments suivants au sujet desquels s’est instauré un laisser-faire scandaleux de la part des autorités :

  • Statut de la femme : hommes et femmes sont égaux en France ; la communauté musulmane devra proclamer cette égalité
  • Statut de l’apostat et protection de la liberté de conscience : la France est étymologiquement le « pays des hommes libres », libres en particulier dans leurs consciences
  • Règles du mariage : hommes et femmes peuvent se marier en France quelles que soient leurs religions ; en particulier, les femmes musulmanes ont le droit, en France, d’épouser des non-musulmans. En outre, les autorités musulmanes devront s’engager à ne célébrer des mariages religieux qu’après les mariages civils au risque des mêmes peines que celles encourues par les ministres des autres religions pratiquées sur le territoire français.
  • Règles d’héritage et autres différends judiciaires : le seul droit reconnu en France est le droit français ; il n’y a pas de place en France pour l’application de législations parallèles issues de la charia dans des tribunaux parallèles (comme c’est le cas dans de nombreuses mosquées)
  • Les responsables de la communauté musulmane devront condamner tout encouragement au jihad, en considérant comme criminel le jihad armé conduisant à la guerre sainte et au terrorisme, le jugeant passible des tribunaux de la république. Ils devront donc s’engager à refuser aux jihadistes tués les prières religieuses publiques de même qu’aux terroristes.

La charia vécue en France ne saurait donc regarder que la seule vie religieuse et ne comporter que des peines de nature religieuse. Les musulmans doivent comprendre qu’en France, le mot de « religion » n’a pas le même sens que le mot de « dîn » employé par la tradition musulmane (qui recouvre le comportement religieux), et donc que leur liberté religieuse, selon leur conception du mot de « religion » ne saurait être totale[13]. Je sais que cela heurtera directement la conception islamique de la fusion du religieux et du politique. Une telle fusion est incompatible avec l’agrégation à la communauté française, parce que contraire à sa civilisation. Si la communauté musulmane de notre pays ne la remettait pas clairement en cause et ne s’accordait pas sur une définition claire de distinction des deux pouvoirs, elle provoquerait les plus grands doutes sur sa possibilité d’exister en France.

La formation des imams-recteurs, savants, oulémas, cadis, muftis et autres autorités de l’islam en France ne doit regarder que la communauté musulmane vivant en France. A charge pour elle de veiller à l’harmonie entre les différents courants qui la composent et de le manifester en étant capable de présenter aux autorités politiques une « charte du savant » entraînant l’adhésion de tous ses membres. A charge pour elle également de dégager les ressources financières nécessaires. Les taxes déjà perçues sur la nourriture hallal (et perçues plus largement même, au-delà du seul marché de la nourriture) par les trois mosquées habilitées à délivrer la certification hallal (Grandes mosquées de Paris, Evry et Lyon) pourraient être orientées en ce sens. Les musulmans pourraient organiser leur « denier du culte ». Ce sont là leurs affaires.

Le conseil français du culte musulman, dans sa forme actuelle, devra être remis en cause, non pas dans le principe de son existence, mais dans son mode d’élection et de représentation. Le gouvernement français pourrait user d’un droit de veto sur la présence de certaines personnes, certaines organisations musulmanes, ou certaines tendances de l’islam, notamment tant que le terrorisme se manifestera en France et dans les pays amis, et au regard des nécessités de prise d’indépendance vis-à-vis des tutelles de pays étrangers. Il ne pourrait avoir à sa tête qu’un président et non un « Grand imam ». Puisque l’islam (sunnite) ne possède pas de magistère doctrinal centralisé, il serait malhonnête de le faire croire par une titulature religieuse inappropriée.

Le conseil nouveau sera tenu de proposer au gouvernement une commission de « théologiens », et plus exactement un conseil d’oulémas, muftis et savants gradués par des instituts d’enseignement supérieur. Ses tâches essentielles consisteraient à délivrer une jurisprudence coranique officielle et à donner son avis pour la nomination des imams-recteurs. Il pourrait ainsi répondre aux questions que pourrait lui poser le gouvernement. Celui-ci se réserverait le droit de récuser tel ou tel conseiller, tout comme il pourrait s’opposer au choix d’un imam-recteur tant que le terrorisme se manifestera dans les conditions précitées. Organisé ainsi, le conseil français du culte musulman devrait avoir autorité sur toutes les mosquées de France, sous peine pour celles-ci, en cas de désobéissance, d’être fermées, puis de sortir de l’espace légal prévu pour le culte musulman.

Bien sûr, l’Etat n’a pas vocation à donner une interprétation religieuse à un texte religieux, voire à cautionner une interprétation plutôt qu’une autre. Mais il a le droit et même le devoir de vérifier que les textes régissant la vie d’une association, quelle qu’elle soit, n’appellent pas à des troubles à l’ordre public. Le ministère de l’intérieur possède des services compétents pour cela. Concernant les passages du Coran et des textes traditionnels qui posent problème, ces services ne devraient pas manquer de poser au conseil français du culte musulman des questions nécessitant des réponses claires quant au comportement citoyen des personnes faisant profession de foi musulmane. Elles devront être conformes au droit français sur la liberté religieuse.

Un moratoire sur la construction de mosquées, à savoir l’interdiction absolue d’ouvrir de nouveaux chantiers, devrait être immédiatement imposé par l’Etat tant que la communauté musulmane, ou les communautés musulmanes, ne se seront pas exprimée et n’auront pas avancé dans le sens de la structuration voulue. En attendant on aura recours à des salles de prières. Pendant cette période transitoire, leur financement serait examiné au cas par cas, sous l’autorité des préfets.

Il ne s’agit là que de grandes lignes, de préconisations de bon sens, partielles, appelées à être complétées et précisées par d’autres propositions. Mais avant d’aller dans ce sens, il conviendrait de s’assurer que la communauté musulmane de France, au travers de représentants qu’elle reconnaisse (malgré sa diversité), soit bien d’accord pour avancer dans cette direction. Ce n’est que dans l’affirmative que pourrait être complété ce qui précède. Dans tous les cas de figure, la discussion demeurerait ouverte, sauf sur ce que j’ai indiqué comme « non négociable. » – il ne s’agit que de mon opinion personnelle, bien entendu !

Conclusion

Enfin et pour conclure, je n’ai pas la prétention de croire que mes propositions régleront les problèmes et questionnement ouverts par la présence de plus en plus forte de l’islam en France. Dans un sens, elles pourraient même les aggraver, notamment aux yeux des inconscients, des faux naïfs et autres conciliateurs[14]. Car il faut savoir qu’une telle action, volontariste, nationale, et surtout menée par un pouvoir non musulman, a contrario d’actions similaires menées par des pouvoirs musulmans en leurs pays, sera intolérable aux yeux de nombre de musulmans – ceux-là justement qui ne veulent pas être français, et qui redoubleront d’ardeur dans leur sécession mentale et leur séparatisme politique. A l’Etat de prendre alors ses responsabilités. D’un autre côté, cette action permettra à de nombreux musulmans de faire le choix de la France, ou de confirmer ce choix. A l’Etat, encore une fois, d’assumer ses responsabilités : le précédent algérien est encore vif dans les mémoires[15]. On se souvient comment l’Etat, après avoir vaincu militairement le FLN, son terrorisme et son islamisme, lui donna néanmoins la victoire et lui sacrifia ignominieusement les Français musulmans. On les appelait harkis à l’époque…

Notre président se trouve ainsi à la croisée des chemins : ou bien il cède tout aux « indépendantistes musulmans » d’aujourd’hui, ainsi qu’à leurs amis « porteurs de valises », et leur sacrifie de nouveau nos harkis, ou bien il joue le jeu de la France, conscient des difficultés qui l’attendent. Mes propositions vont dans ce sens : je crois simplement qu’elles peuvent permettre une avancée et légitimer la position du président de la République que beaucoup ne font que critiquer sans rien proposer à la place. Certes, le chef de l’Etat se risque dans une aventure. Mais le statu quo n’est plus possible, et ne rien faire serait à coup sûr condamnable, et facteur de bien plus de troubles et de violences que ce que je préconise. Cette tentative présidentielle, tout en étant périlleuse, doit donc être soutenue en rassemblant les Français soucieux de la cohésion et de l’avenir de leur pays.


[1] Voir Michel Viot et Odon Lafontaine, La Laïcité mère porteuse de l’islam ?. Éditions Les Unpertinents Saint Léger.2017 – voir ici une présentation

[2] En septembre 2016, par Hakim El Karoui

[3] Voir Michel Viot et Odon Lafontaine, La Laïcité mère porteuse de l’islam ?. op. cit. dans ses analyses sur la nature et la genèse de l’islam (2ème et 3ème parties du livre)

[4] Voir Michel Viot et Odon Lafontaine, La Laïcité mère porteuse de l’islam ?, op. cit. pp. 256-257

[5] Article 31 « Sont punis de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte. »

https ://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ? cidTexte=LEGITEXT000006070169&dateTexte=20080306

[6] Michel Viot et Odon Lafontaine, La Laïcité mère porteuse de l’islam ?, op. cit. p.250 note 362, : « Ce n’est pas un hasard si la mention du droit à changer de religion, dans la charte donnée à signer aux parties prenantes de la consultation mise en place par Jean-Pierre Chevènement pour créer une instance représentative de l’islam, a suscité une vive réaction de la part de l’UOIF qui en a obtenu le retrait. [note de bas de page] Déclaration d’Alain Billon, conseiller de Jean-Pierre Chevènement, Islam de France n°8, 2000 : “Le maintien de la mention initiale explicitée et isolée au “droit de changer de religion” a été considéré par eux comme inutile et blessant. Cette objection a été jugée fondée”. » in L’islam en France, Yves Charles Zarka, Sylvie Taussig, Cynthia Fleury, PUF, 2004

[7] Léon XIII, encyclique Au milieu des sollicitudes, appelée à tort « Ralliement ». Voir Michel Viot, L’heure du royaume de France est-elle venue ? P 46 à 84 et Annexe I p 289 à 298 éditions Via Romana 2018.

[8] Condorcet (1743-1794) Discours sur l’organisation générale de l’instruction publique, prononcé à l’assemblée législative les 20 et 21 avril 1792.

[9] M Viot et Odon Lafontaine, La Laïcité mère porteuse de l’islam ?, op cit voir p 168 à 176 ,« l’islam colonial français »

[10] Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2015

[11] Aristide Briand (1862-1932), socialiste d’origine ayant évolué vers le centre gauche. Homme de paix reconnu tant en politique intérieure qu’extérieure (prix Nobel de la paix en 1926). Rapporteur de la loi de séparation de 1905, il sut la rendre tolérable aux catholiques sur le plan pratique. Libre penseur, il resta toujours cohérent avec lui-même. Lors de ses obsèques civiles, Édouard Herriot prononça le discours et le Cardinal Verdier vint bénir le corps.

[12] « divorce » fut le terme employé par le président Emile Combes dans son discours d’Auxerre du 4 septembre 1904. Voir mon Blog de janvier cité plus haut.

[13] Cf. M Viot et Odon Lafontaine op cit p.23

« le contrat n’a jamais été clair pour les immigrants musulmans. L’Occident leur a été présenté comme un havre de liberté religieuse, mais le sens même du mot de religion en islam (dîn) n’est pas celui qu’il recouvre dans les sociétés pétries de christianisme. Dans celles-ci, il désigne d’abord l’assentiment de la raison aux dogmes, la croyance personnelle fruit de la liberté des consciences, et de là, une pratique individuelle ou collective. En islam, le dîn est une « justice » au sens biblique, c’est l’éthique du musulman, la somme des comportements ordonnés par les commandements de Dieu : la croyance au Dieu unique et à la prophétie de Mahomet, certes, mais aussi tous les autres selon le degré de « religiosité » des musulmans : nourriture hallal, prière, voile islamique, et plus généralement, l’application de toute la loi de Dieu, jusqu’à l’obligation d’islamiser le monde entier »

[14] Selon la formule de Winston Churchill : « un conciliateur, c’est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant qu’il sera le dernier à être mangé »

[15] Se reporter au livre La Laïcité, mère porteuse de l’islam ?, op. cit. pp. 230 à 236, pour une analyse détaillée de la situation algérienne motivant la comparaison historique de cet article.

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